Les frontières du salariat : entreprises évanescentes, faux indépendants et coopératives de travail dans l’industrie de la viande

Abstract

La mobilisation de la force de travail, sa liaison à une certaine séquence d’activités dans le processus de création de richesse, adopte aujourd’hui des combinaisons de plus en plus complexes. Le salariat – bâti autour du principe de subordination juridique du travailleur et de la participation régulière de celui-ci au sein d’une entreprise dont les contours restaient bien dénis fait face un processus de changement qui risque d’effacer ses frontières et institutions traditionnelles. Aujourd’hui, l’agencement de l’activité d’un éventail de producteurs indépendants devient possible au-delà de leur intégration durable dans une entreprise. Cette nouvelle voie d’agencement de l’activité rend possible la dépendance réelle des producteurs à l’égard de celui qui les emploie sans reconnaître leur subordination formelle. C’est-à-dire, sans reconnaître aucune responsabilité sociale envers ces producteurs devenus, à nouveau, des agents économiques « indépendants » qui offrent des services leurs emploeurs en mobilisant des structures organisationnelles propres et très souvent de taille réduite. Cette contribution propose de réfléchir aux conséquences de ces mutations du salariat traditionnel à partir de l’analyse d’un cas concret : celui de l’industrie de la viande espagnole. Après une brève présentation du travail de terrain effectué et des principales sources utilisées dans notre étude, nous procédons à un aperçu général des dimensions de l’industrie de la viande en Espagne et de son modèle de sous-traitance basé sur les (fausses) coopératives de travail associé. Une fois l’ampleur du phénomène connue, nous procédons à l’analyse du fonctionnement de ce modèle de sous-traitance, en analysant le cas de la principale coopérative du secteur (Servi-carne). Les dernières sections de cette contribution examinent tout d’abord l’impact de ce modèle de sous-traitance sur les conditions de travail et d’emploi du secteur et, ensuite, le processus de mobilisation syndicale contre les fausses coopératives. Les conclusions nales présentent quelques dés qui accompagnent ces formes de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre.